Segmenter les demandeurs d'emploi pour un meilleur suivi ou pour se débarrasser des "inemployables"?

La Fédération Bruxelloise des organismes d'Insertion socioprofessionnelle et d'économie sociale d'insertion (FeBISP) est inquiète et tient à attirer l'attention de l'opinion publique sur les récentes évolutions en matière de politique de mise à l'emploi.  

L'« employabilité » est devenue une notion centrale des débats sur l'emploi, le travail, le chômage et la formation professionnelle. L'utilisation du terme est général et désigne les capacités individuelles à se maintenir dans un emploi ou à en trouver un. Mais il est d'abord réservé à certaines catégories de la population : les personnes handicapées et les chômeurs de longue durée. Derrière le mot 'employabilité', les pouvoirs publics tentent d'évaluer la distance que le demandeur d'emploi doit parcourir pour réintégrer le monde du travail. De là, ils cherchent à déterminer le type d'aide dont le demandeur d'emploi a besoin pour arriver à décrocher un emploi.

ETRE DEMANDEUR D'EMPLOI EN 2011...

Historiquement, les allocations de chômage constituaient pour un travailleur, une assurance contre le risque de perdre son emploi. Actuellement, le droit est devenu un droit à mériter. Désormais, pour bénéficier des allocations de chômage, le demandeur d'emploi doit, en effet, être considéré comme « demandeur d'emploi involontaire ». Ce qui implique qu'il ne peut pas refuser un emploi convenable, ni refuser une formation adéquate. Il doit bien sûr être disponible sur le marché de l'emploi, collaborer aux actions d'accompagnement et de formation... Bref, chaque chômeur doit fournir la preuve qu'il cherche ACTIVEMENT du travail. Et pour vérifier ses efforts, des entretiens individuels sont fixés en fonction de l'âge et de la durée de chômage avec un agent de l'ONEM (le facilitateur), spécialement recruté et formé pour mener ces entretiens. Si l'ONEM estime ses recherches insuffisantes, il lui impose un « contrat » que le chômeur DOIT impérativement respecter sous peine de sanction (limitée et temporaire), de réduction du montant ou de suspension du paiement des allocations ou encore d'exclusion. La contractualisation enlève à la protection sociale son caractère assurantiel.

Voici en clair ce que les pouvoirs publics ont appelé « l'activation du comportement de recherche d'emploi » traduit par la mise en place d'un plan d'action pour retrouver un emploi dans les meilleurs délais. L'objectif affirmé est, avant tout, de suivre activement le demandeur d'emploi et de le soutenir dans sa recherche d'emploi.

Quelle que soit l'appellation, la FeBISP constate que cette politique reste, malheureusement, fondée sur les principes d'obligations et de sanctions malgré les effets négatifs qu'elle engendre : exclusion des demandeurs d'emploi, engorgement du dispositif d'insertion socioprofessionnelle et inadéquation entre le public contraint et les méthodes de l'insertion socioprofessionnelle.

A l'instar d'autres associations, syndicats, travailleurs sociaux, responsables de CPAS, la FeBISP a dénoncé le fait que les premières victimes du plan d'activation sont les demandeurs d'emploi les plus « fragiles », les plus « démunis », ceux qui ont le plus de difficultés sociales.

SEGMENTATION DES DEMANDEURS D'EMPLOI

Pour répondre à ces préoccupations, le gouvernement sortant a donc émis des propositions. Il prévoit entre autre une procédure adaptée pour les chômeurs fragilisés où la procédure d'activation est suspendue pendant 18 mois. Les facilitateurs de l'ONEM ne convoqueront pas les chômeurs MMPP pendant cette période.

Dans cette proposition, les chômeurs fragilisés sont repris sous l'appellation, demandeurs d'emploi très éloignés du marché du travail qui pourront désormais être « classés » dans trois catégories :

- ceux qui ont des problèmes d'ordre MMPP (médical, mental, psychologique ou psychiatrique),
- ceux qui ont des « problèmes importants de socialisation »,
- et les « non-orientables ».

Dans ce projet, il s'agit donc d'une nouvelle segmentation des demandeurs d'emploi basée sur leur distance par rapport au marché du travail. Même si le Gouvernement fédéral est en affaires courantes et que les réflexions sur le sujet sont à l'arrêt, l'idée, elle, semble gagner du terrain...

En Wallonie

La presse s'est fait écho ces derniers jours des projets du Forem en la matière. Il travaille sur une segmentation des chômeurs... en quatre catégories dont la dernière aurait été baptisée celle des personnes « les plus éloignées de l'emploi », catégorie des chômeurs « rencontrant des problématiques MMPP et sociales ». Le Forem préparerait donc un « screening » pour déterminer si la personne fait partie de cette catégorie. Ces « irrécupérables » une fois identifiés, seraient dirigés vers les CPAS et les organismes d'insertion socioprofessionnelle.  

A Bruxelles

A la Région bruxelloise, aussi, il y a une tendance à une certaine segmentation... Actiris a dans ses cartons un projet de « mesure de la distance du demandeur d'emploi par rapport au marché de l'emploi » et l'écho que nous avons de nos membres montre que les demandeurs d'emploi sont orientés vers les partenaires en fonction d'une forme de catégorisation.

Autre indice de cette tendance : l'avant-projet pour la refonte de l'ordonnance du 18 mars 2004, relative à l'agrément et au financement des ILDE et des EI,  faisait apparaître la catégorie de « demandeurs d'emploi extrêmement éloignés du marché de l'emploi » définie comme « le travailleur du public cible, qui, par une accumulation de facteurs personnels et dus à son environnement, ne peut acquérir ou garder un emploi dans le circuit de travail régulier ni dans une entreprise de travail adapté, mais qui, bénéficiant d'un accompagnement social, est en mesure de fournir des prestations de travail à la mesure de ses possibilités ».

Notre fédération et d'autres acteurs de l'économie sociale n'ont pas manqué de dénoncer cette forme de stigmatisation supplémentaire des demandeurs d'emploi et nous espérons que cette optique sera retirée du texte définitif.

UN REEL ACCOMPAGNEMENT DES DEMANDEURS D'EMPLOI SANS STIGMATISATION ET SANS EXCLUSION

Pour la FeBISP, faire intervenir des facteurs aussi subjectifs pour caractériser les personnes est stigmatisant et contre-productif. Il conviendrait de ne pas créer de nouvelles catégories qui viendraient s'ajouter aux autres déjà nombreuses et instaurer une discrimination malsaine entre les personnes. En Wallonie, les CPAS et les organismes d'insertion ont déjà déclaré leur inquiétude face la stigmatisation des demandeurs d'emploi ainsi opérée, ainsi que la logique de « sous-traitance » du Forem. La FeBISP se joint à l'Interfédé, pour défendre une réelle politique d'accompagnement sans stigmatisation et sans exclusion.

Notre fédération ne voit pas d'inconvénient à instaurer un monitoring transparent à condition que les objectifs et les critères d'analyse soient définis dès le départ et en concertation avec le secteur de l'insertion socioprofessionnelle. Cependant, nous voyons avec beaucoup d'inquiétude l'apparition de la catégorie des demandeurs d'emploi « non-orientables ». Ces demandeurs d'emploi ne sont ni ceux atteints d'une pathologie ou d'un handicap reconnu, ni ceux fortement éloignés de l'emploi pour cause « sociale ».

Avec une expertise d'une trentaine d'années, l'insertion socioprofessionnelle est toujours restée prudente quant à la catégorisation des demandeurs d'emploi et a toujours refusé, avec force, de définir une catégorie de manière non objective et plaçant ces demandeurs d'emploi dans une voie sans issue.

L'idée de demandeurs d'emploi « non-orientables » transgresse cette délicate frontière. Cette notion est une dérive dangereuse qui spécule négativement sur le futur de ces personnes. De plus, la possibilité de les transférer vers un autre mécanisme de solidarité semble montrer une volonté de se débarrasser des demandeurs d'emploi les plus éloignés du travail et paraît leur nier le droit à l'accompagnement vers l'emploi.

A l'heure où certains mettent en cause les principes mêmes de la solidarité, il semble important pour la FeBISP de se battre aussi pour que le contenu de la sécurité sociale ne soit pas vidé de sa substance, ni dans son fondement, ni dans son application.