RENCONTRE: UN CARNAVAL D'IDEES RECYCLEES

Entretien avec Mateo Segers, coordinateur artistique de la Zinneke parade

Vial Grösser Tatiana Vanessa

LA ZINNEKE, C'EST QUOI ?

On peut dire qu'il s'agit de plus de cent cinquante ateliers créatifs qui préparent la parade.
Plus de 150 artistes encadrent les participants : metteurs en scène, musiciens, chorégraphes, scénographes, improvisateurs, marionnettistes, etc. Plus de 150 associations y participent : Maisons de jeunes, Centres Culturels, Collectifs d'artistes, Maisons de quartier, Éducateurs de rue, Scouts. Le résultat : une parade de plusieurs milliers de participants, une fête à Bruxelles pour tous les bruxellois. La Zinneke est avant tout un projet artistique et social.

COMMENT EST NEE L'IDEE DE LA ZINNEKE PARADE ?

La Zinneke parade est née en 2000 dans le cadre de « Bruxelles, ville culturelle ». Bruxelles était envisagée comme ville culturelle et capitale de la Belgique, nous voulions donc rassembler des partenaires bruxellois, wallons et flamands. La zinneke réunissait et réunit toujours des associations venant de tout le pays, cependant, aujourd'hui, les associations venant d'autres régions doivent s'associer avec un partenaire bruxellois. Par ailleurs, les personnes au départ de l'initiative voulaient créer une plate-forme des activités associatives. Il s'agissait de montrer le travail des associations dans les quartiers en les faisant défiler dans les rues bruxelloises.

CETTE CONCEPTION DE LA ZINNEKE PARADE EST-ELLE LA MEME AUJOURD'HUI ?

Non, nous sommes passés d'une plate-forme des associations à une plate-forme qui impulse des nouveaux projets dans la ville. Nous ne nous contentons plus simplement de rassembler des projets existants et de leur proposer une vitrine, nous voulons créer des projets, impulser des idées, avoir une action propre et à plus long terme.

QU'EST-CE QUI A CHANGE ?

L'idée de départ était une bonne initiative, mais débouchait sur des inégalités entre associations : celles avec plus de moyens créaient des projets esthétiquement plus beaux que les petites associations même si la qualité du travail était la même, voir supérieure. Les subsides étaient également fort différents d'une association à l'autre, les associations plus professionnelles savaient à quelles portes frapper et recevaient plus de subsides que les petites structures peu connues et reconnues. La Zinneke parvenait à débloquer de l'argent mais le répartissait de manière égalitaire sans tenir compte des situations réelles des associations. Les petites associations n'avaient aucune possibilité de se démarquer vis-à-vis des grandes. La Zinneke parade était plutôt un état des lieux de l'associatif et recréait les inégalités existantes.
Suite à la troisième édition en 2004, l'association est rentrée en crise. Nous avons organisé les états généraux de la Zinneke et nous avons revu le fonctionnement et les objectifs à atteindre. Nous voulions être plus actifs, créer un mouvement dans la ville, donner une réelle pérennité à cet événement. Nous voulions aussi nous engager plus au niveau de l'éducation et épauler les associations des quartiers en difficulté. C'est pourquoi nous offrons un soutien aux associations, nous les accompagnons tout au long du processus : avant, pendant et après la Parade. Ainsi, nous les aidons à travailler avec un artiste, à trouver des subsides, à mettre en place un projet artistique, etc.

QUELS SONT LES PRINCIPES DE BASE DE LA ZINNEKE PARADE ?

Comme je vous l'ai déjà dit, nous menons un projet artistique et social. Nous voulons agir dans les quartiers défavorisés de Bruxelles. La Zinneke est l'occasion d'offrir une activité artistique à tous. Les ateliers fournissent une formation culturelle à peu de frais pour les participants. Par exemple, pour les percussions africaines, nous insistons sur la présentation de l'histoire des percussions, le mode de fabrication, etc. Nous désirons dépasser le stade de la simple utilisation.

Par ailleurs, nous appuyons le fait que la création ne soit pas simplement l'?uvre de l'artiste et que les participants soient de simples exécutants. Tout le monde participe à la création. L'artiste doit faire en sorte d'écouter tout le monde et de mettre en place le projet décidé par le groupe. Par exemple, un artiste qui travaille avec des jeunes enfants, va commencer par les faire dessiner, il pourra ensuite discuter avec eux pour voir ce qu'ils veulent. Ce n'est pas toujours évident car tous les artistes ne savent pas forcément cadrer un groupe, écouter ce que chacun a à dire et façonner un projet qui est le fruit de tous. Mais pour nous, la création participative est une priorité.

Bien entendu, nous voulons susciter la rencontre et l'échange. Dans ce sens, nous gardons l'idée d'une plate-forme. Une grande partie de notre travail est justement de créer des liens entre associations, de mettre en contact des personnes et de créer des synergies. C'est aussi pourquoi nous voulons que les associations des autres régions s'associent à des associations bruxelloises. Le contact n'est plus simplement fait lors du défilé, il s'agit pour elles de mener ensemble un projet à long terme. Les liens n'en sont que plus forts.

Enfin, nous préconisons une création interdisciplinaire. Nous voulons mélanger les genres : marier la musique avec l'art pictural. Faire de l'art Zinneke !

POURQUOI UN DEFILE ET PAS UN SPECTACLE ?

En effet, nous pourrions faire un concert ou un spectacle, mais nous restons fidèles à la parade car elle représente bien l'idée que nous avons : que les gens reprennent possession de la rue et nouent des relations d'égal à égal ! D'ailleurs, c'est pour la même raison que nous avons opté pour un défilé de personnes et non pour un défilé de chars. Les chars sont beaux et imposants, mais ils coupent ce lien qui peut être forgé entre les spectateurs et les participants.

EN QUOI CONSISTE LA PARADE ?

La parade est la cerise sur le gâteau. Il est très important qu'elle soit réussie mais il est encore plus important que les gens participent à la parade. La participation est une réussite en soi. Notre objectif est que les gens s'amusent et amusent. Les sons de la Parade ne sont pas électriquement amplifiés. Les musiques sont celles des instruments bruts sans aucun traitement qui coûterait de l'énergie. De plus, la Parade est sans moteur. Nous insistons pour que les ateliers se servent de matériel de récupération. Il ne s'agit pas de n'importe quel matériel, l'équipe de la Zinneke récolte les déchets réguliers d'entreprises et nous les stockons. Les artistes encadrant un projet peuvent venir se servir à tout moment.

La Zinneke 2008 est constituée de plus de 20 Zinnodes. Une Zinnode est un cortège multidisciplinaire construit par de nombreux partenaires grâce à des ateliers ouverts à tous et à des ateliers d'associations. À l'arrivée, chaque Zinnode rassemble plus de 100 personnes qui racontent une histoire. Elles sont toutes présentées au sein de notre site.

COMMENT AVEZ-VOUS CHOISI LE THEME DE CETTE ANNEE ?

C'est simple, ce n'est ni l'équipe, ni l'assemblée générale ni le conseil d'administration qui a décidé. Nous avons organisé une sorte de consultation populaire. Toutes les personnes qui voulaient voter pouvaient nous téléphoner et suggérer un thème. Ensuite, nous nous sommes réunis en plénière. Le thème de l'eau s'est démarqué. Le choix du thème va avec le reste, la Zinneke est un spectacle fait par les gens et pour les gens. En partant de l'eau, nous avons proposé une série de déclinaisons : l'eau comme source de vie puisque tous les organismes vivant en dépendent directement ; l'eau comme molécule H2O, élément chimique et physique avec ses propriétés ; l'eau comme mythes et légendes est liée à notre imaginaire collectif ; et enfin, l'eau comme sens et abstraction, souvent utilisée pour représenter la pureté, elle peut également être source d'angoisse ou de mystère.

LA ZINNEKE PARADE EXISTE-T-ELLE AILLEURS ?

Il y a des parades partout, il en existe plusieurs modèles : le défilé de Lyon qui fonctionne par appels d'offre auxquels répondent des associations et des compagnies professionnelles. Il s'agit d'un concept plus artistique. Il existe également le modèle de Bologne qui est une rencontre d'artistes, il s'agit plutôt d'un laboratoire de recherche artistique. La Zinneke insiste sur le caractère de création participative. Pour nous, la parade est une rencontre entre associations, artistes et participants. Actuellement, nous voulons internationaliser la Zinneke Parade. Ainsi, nous avons lancé le BelBoBru avec deux autres parades: la Par Tôt Parata de Bologne coordonnée par l'association Associazione culturale Oltre et le Belfast Carnival coordonné par la Beat Initiative. Il s'agit d'un laboratoire de parades urbaines au sein duquel nous partagerons le pavé et réfléchirons ensemble à ce qui se joue entre l'expression artistique et la réalité sociale. Nous travaillons à présenter la vitalité de l'identité européenne et un nouvel imaginaire collectif.