SUR LE VIF: LE DROIT A LA FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIE

Le dernier Forum de discussion organisé en décembre 2007 par la FGTB de Bruxelles, la Centrale Culturelle Bruxelloise et Habiter Bruxelles, consacré aux politiques sociales de la ville, a cette fois permis de débattre du « droit à la formation... tout au long de la vie ! Entre contrainte et émancipation des travailleurs ». Un forum riche en tension.

Ana Teixeira

RETOUR SUR QUELQUES IDEES CLES

Outil d'égalité entre hommes et femmes, outil d'intégration des nouveaux migrants ? Instrument pour un meilleur partage du fruit de la croissance ou levier de la compétitivité ? Qu'en est-il aujourd'hui du droit à la formation continuée tout au long de la vie, de quel projet politique émane-t-il ?

Déjà en 1976, le concept d'éducation permanente était source de malentendu... Entre l'idéal populaire, qui situait le citoyen comme un acteur culturel se formant au travers de ses expériences de vie et le principe libéral envisageant la régénérescence de la force de travail pendant ses loisirs... L'éducation permanente s'apparentait tantôt à une démarche de formation (the Long life education) qui permettait de s'adapter et d'agir sur une société en constante évolution, tantôt à un processus de travail qui développait l'employabilité.

Il faut attendre les années 80 pour voir apparaître les Citoyens Responsables Actifs Critiques et Solidaires, les CRACS qui selon leur niveau de radicalité dans l'action passent de la simple prise de conscience à une volonté de transformer et de réformer le monde. Là encore, le concept d'éducation permanente bascule entre deux pôles : celui de l'intégration critique visant l'intégration des exclus, la promotion de la culture de la classe ouvrière ou, dans sa forme la plus extrême, la libération de toutes les aliénations par l'émancipation.

Comment encore revendiquer aujourd'hui l'idée qu'il ne faut pas cloisonner le temps de l'école, de la formation, du travail, de la famille, du social et du militantisme ou encore celle qu'il faut démocratiser la culture, au sens qu'elle appartient à tous et est générée par tous ? Pour Jean-Pierre Nossent, Président de l'Institut d'Histoire ouvrière, économique et sociale : «?la question du pouvoir est centrale, il faut s'approprier le savoir pour s'approprier le pouvoir. L'éducation permanente doit rester un outil principal de révolte, de critique de la société plutôt qu'un simple instrument de socialisation qui finit par faire accepter la société telle qu'elle est?».

De quelle culture et de quelles pratiques de résistance parlons-nous ? Le contexte ambiant de l'insertion socioprofessionnelle est celui d'un État social actif où l'individu est responsable de son parcours sans que l'État lui-même ne se remette en question sur ses propres responsabilités sur un plan sociétal !

Pour Marc Thommès, Directeur général adjoint de Bruxelles Formation et Vice-président du Conseil de l'Éducation et de la Formation, le glissement entre la notion de qualification et de compétence a pour effet de brouiller les classifications barémiques, de remettre en question l'importance des diplômes et des certifications, d'affaiblir les négociations collectives de travail et de provoquer une surqualification à l'embauche. Dans une logique de compétence, on fait porter au travailleur la responsabilité de se former, on individualise ses rapports avec l'entreprise, évacuant ainsi la dimension collective du travail. La formation se voit instrumentalisée au profit de l'économie, les savoirs doivent être directement utiles à l'entreprise au risque d'un appauvrissement des missions de la formation professionnelle. À y regarder de plus près, la formation tout au long de la vie est toujours un instrument économique de changement qui accroît la flexibilité dans l'organisation du travail mais aussi un moyen de lutter contre la déscolarisation précoce.

Pour Marc Thommès, maintenir une équité dans l'accès aux formations reste primordial pour permettre aux individus de se former partout et de toutes les manières possibles dans un cadre citoyen. Il en appelle à l'implication des organisations syndicales pour valoriser la formation au sein de l'entreprise. Il fait remarquer la pauvreté du volet formation dans les accords interprofessionnels (à peine 10% d'investissement du capital). Il souligne l'importance de former les délégués syndicaux à la gestion des compétences, d'approfondir les plans de formation, d'exiger des entreprises des résultats chiffrés en termes de formation dans leur bilan social et de maîtriser l'évolution du monde du travail au travers de l'évolution des compétences professionnelles.

Pour suivre cette évolution, Bruxelles Formation participe à 4 dossiers de front : le premier concerne le redéploiement de la Commission consultative des profils de qualification. Une révision des définitions des profils-métiers induisant une redéfinition des profils de formation doit aboutir à une meilleure visibilité de l'offre de formation et des compétences. En second, le reclassement de l'offre de formation dans le cadre européen des certifications aura pour conséquence une nouvelle régulation du monde du travail.

Pour Marc Thommès, ce cadre européen des certifications qui entend classer de manière identique, sur base d'un langage commun, les compétences selon 8 niveaux dans les pays membres de la Commission européenne est un point d'appui fort pour faire évoluer le débat sur les salaires et permettre la mobilité des apprenants.

Dans la même lignée, le dispositif de validation de compétence (ayant pour objet de délivrer des Titres de compétences quelle que soit la manière dont la personne a acquis ses compétences) devrait également intervenir à terme dans les conventions collectives de travail. Tout comme le système ECVET(1) qui sur base d'une modularisation des systèmes de formation (déjà à l'?uvre dans la promotion sociale ou à Bruxelles Formation) permet aux personnes de capitaliser des unités de formation dans un système de passerelles entre différents opérateurs de formation en Europe. Mobilité et «?flexibilisation?» du marché sont les maîtres mots de l'évolution de la formation professionnelle. Il faut s'y atteler.

Pour Matéo Alaluf, Professeur à l'Institut des Sciences du Travail à l'ULB, l'écart se creuse entre le fonctionnement institutionnel des politiques, le fonctionnement effectif de la société et la réalité des gens. Le combat mené dans une logique d'éducation permanente et de lutte sociale est aujourd'hui récupéré. Se former n'est plus une question d'émancipation ou d'épanouissement... Soit je me forme soit je suis exclu du système. Il faut rester compétitif ou le devenir. La formation est devenue quasi un obstacle dans le parcours de vie, une contrainte souvent alors que l'offre de formation ne suffit pas pour répondre aux besoins de tous. Les pouvoirs publics eux-mêmes ont intériorisé des critères de compétitivité, d'individualisation et de mise en concurrence.

Autrefois, l'individu pouvait choisir l'emploi qu'il voulait occuper ou non. Actuellement, tout agent d'orientation a pour réflexe professionnel de s'interroger sur l'adéquation de l'individu qu'il accueille par rapport aux exigences du marché de l'emploi. Il part des besoins des entreprises plutôt que de ceux des citoyens pour répondre à la question « à quoi est-il bon ? ».

Du point de vue associatif, la place de l'éducation permanente dans les pratiques d'insertion socioprofessionnelle est cruciale. Mais comme l'a souligné Nordine Boulhamoum, co-directeur à la Mission Locale de Forest, elle se réduit parfois au strict minimum au vu des contraintes institutionnelles qui sont imposées aux opérateurs. Les durées de formation se raccourcissent et la formation menée dans une telle démarche ne correspond pas forcément au désir des stagiaires qui ont comme priorité de trouver un emploi quelles qu'en soient les conditions ou les modalités. Développer la conscience politique du public des OISP est un travail de longue haleine. Il faut donc reconnaître que dans le cadre de l'insertion, l'éducation permanente prend des allures de «?socialisation?» et moins d'émancipation. Par ailleurs, confrontés à une chasse aux chiffres et à des critères de performance de plus en plus quantitatifs, la tendance existe de faire l'impasse sur la rentabilité du travail social mené par les organismes d'insertion socioprofessionnelle.

 

EN SAVOIR PLUS SUR LES OPERATEURS ASSOCIATIF ISP ET EP

Plusieurs associations, agréées en tant qu'organismes d'insertion socioprofessionnelle (OISP), étaient également reconnues dans le cadre du décret du 8 avril 1976 fixant les conditions de reconnaissance et d'octroi de subventions aux organisations d'éducation permanente des adultes en général et aux organisations de promotion socioculturelle des travailleurs, à savoir : les Ateliers du Soleil, le Service d'Education permanente des Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active asbl (CEMEA), le Collectif Formation Société (CFS), la Chom'hier (via le Centre d'Information et d'Education Populaire de Bruxelles (CIEP-B), le Collectif Alpha, Formation Insertion Jeunes asbl (FIJ), le Gaffi (section locale du mouvement d'éducation permanente Culture et développement), Le Piment, la Maison de Quartier d'Helmet (MQH). Suite aux nouveaux décret et arrêté d'application, ces organismes devaient entrer une nouvelle demande de reconnaissance de leurs actions début 2007. Le Collectif Formation Société CFS, le Collectif Alpha et le GAFFI sont d'ores et déjà nouvellement reconnus en tant qu'opérateurs EP depuis mars 2007 pour une période de 5 ans. Pour les autres, le dernier train de reconnaissance est en cours de traitement et devrait être bouclé pour décembre 2008.

NOTES DE BAS DE PAGE

1) Les crédits d'apprentissage européens pour la formation et l'enseignement professionnels (ECVET) forment le dispositif européen pour le transfert, la capitalisation et la reconnaissance des acquis et des apprentissages en Europe
2) En application du décret du 17 juillet 2003 relatif au soutien de l'action associative dans le champ de l'éducation permanente