SUR LE VIF : QUE FACILITENT LES FACILITATEURS ?

Jack a 47 ans, il est d'origine turque. Il a 4 enfants à charge. Il est en Belgique depuis plus de 15 ans. Son niveau d'études équivaut au niveau primaire. Il dispose de deux expériences professionnelles en Belgique. La première remonte à 1993 en tant qu'ouvrier dans l'une des communes de la région bruxelloise (sous contrat article 60) ; et la seconde date de 1996 comme couturier (métier qu'il a exercé dans son pays d'origine). Depuis lors, il est au chômage comme chef de famille.

Pierre-Alain Gerbeaux

En août 2007, il est reçu par un conseiller ISP dans une Mission Locale. Il a en effet signé un contrat de projet professionnel (CPP) avec Actiris fin mai 2007, soit un peu plus de deux mois auparavant. Compte tenu du nombre croissant de personnes qui poussent la porte des Missions Locales (effet direct de la politique d'activation) et du nombre constant des effectifs de ces structures, les délais d'attente s'allongent. Jack parvient donc à obtenir ce rendez-vous à la Mission Locale et montre son CPP dont l'un des items est l'orientation professionnelle. Il n'a pas d'idée précise du secteur d'activité qui l'intéresserait, encore moins des fonctions qu'il pourrait exercer. Au vu des expériences de recherche d'emploi de son entourage (amis voisins...), Jack s'estime trop vieux pour intéresser un patron et parvenir à réintégrer le marché du travail. Son conseiller à la Mission Locale parvient néanmoins à le convaincre de s'engager dans un atelier de détermination professionnelle de septembre à fin octobre 2007. Précisons qu'à ce stade, il n'a encore fait l'objet d'aucune convocation par l'Onem. Son français est approximatif, il s'exprime difficilement mais il accepte malgré tout de suivre cet atelier d'une durée de 8 semaines.

Durant ces deux mois, scepticisme et découragement prennent parfois le dessus : il se sent trop vieux pour pouvoir espérer se réintégrer et son niveau de français rend l'exercice de réflexion particulièrement laborieux. Toutefois à la fin des 5 premières semaines, il semble reprendre courage et 3 secteurs se dégagent du travail d'orientation : la sécurité, le transport et la couture. Il parvient alors à décrocher un stage de 15 jours comme agent de prévention dans une commune de la région bruxelloise. Son stage se passe bien. Son maître de stage s'avère satisfait, lui promet de garder son cv et l'encourage à persévérer dans cette voie. Jack est ensuite convoqué à l'Onem en novembre 2007. Il sort de l'entretien avec le facilitateur, muni d'un contrat d'activation de 4 mois dont l'un des items est : « poser sa candidature dans 6 agences titres services en tant qu'aide-ménagère ». Un autre item mentionne qu'il doit être suivi par la Mission Locale.

En décembre, dans le cadre du suivi post-atelier assuré par la Mission Locale, Jack vient voir l'animatrice du groupe d'orientation avec son contrat. L'animatrice est surprise face à la consigne « titres services ». Cette consigne est tout à fait décalée de la réalité pour plusieurs raisons :

  • il n'a jamais évoqué le secteur du nettoyage, ni celui de l'aide aux personnes. C'est d'ailleurs sa femme qui prend ces aspects en main à la maison. De façon très prosaïque, il est très probable qu'il n'a jamais tenu un balai de sa vie !

  • Les rares agences titres services qui acceptent des hommes motivés pour le boulot ont du mal à leur trouver des clients qui acceptent qu'ils viennent nettoyer chez eux.

  • Et surtout....d'autres secteurs activités ont été évoqués durant les 8 semaines de formation et le stage qui a suivi. Par exemple, Jack a son permis de conduire ainsi qu'une voiture et le métier de chauffeur livreur est tout à fait à sa portée.

Par « chance », l'animatrice parvient à contacter le facilitateur qui a rédigé le contrat. Sans remettre en question le bien-fondé du contrat d'activation, elle explique les raisons évoquées ci-dessus et propose de changer la phrase : « envoyer sa candidature à 6 agences titres services », par « envoyer sa candidature de façon spontanée à 6 entreprises. ». Mais la réponse est catégoriquement négative, principalement parce que Jack a maintenant presque 140 mois de chômage et qu'il n'a pas présenté de projet professionnel (sic). Cela signifie-t-il que l'atelier de détermination professionnelle et le travail d'accompagnement de la Mission locale ne comptent pas ? Cela signifie-t-il que la signature et la mise en oeuvre d'un contrat de projet professionnel n'a aucune valeur ? De nombreux cas peu ou prou similaires ont été recensés par les travailleurs des Missions Locales. Celui-ci comme tant d'autres suscite bien des interrogations. Quels sont les critères d'évaluation d'un comportement actif de recherche d'emploi ? Pourquoi le facilitateur ne prend-t-il pas soin de contacter les différents partenaires qui l'ont déjà rencontré (conseiller Actiris, conseiller ISP, animatrice de détermination professionnelle). Pourquoi noter sur le contrat d'activation que Jack doit se faire suivre par la Mission Locale si les suggestions de la Mission Locale ne sont pas prises en compte ? Même dans un cas aussi simple ne demandant qu'un amendement au contrat. L'accord de coopération prévoyait un accompagnement renforcé par les services publics d'emploi et leurs partenaires. Or dans cette situation, l'ONEm s'érige non seulement en contrôleur mais aussi en accompagnateur. Avec quel résultat ! L'absence de travail en réseau des facilitateurs, l'absence de dialogue avec les différents professionnels qui assurent un véritable accompagnement des demandeurs d'emploi en recherchant avec ceux-ci la mise en oeuvre d'un projet professionnel clair et réaliste, conduisent à des aberrations de la sorte. En quoi les facilitateurs rendent-ils plus facile les tâches des demandeurs d'emploi ? Visent ils réellement l'objectif de réinsertion professionnelle des personnes qu'ils convoquent ?