RENCONTRE AVEC... FRED MAWET

Ancienne directrice de la Mission Locale de Forest (de 1992 à 2002), cheville ouvrière de la mise sur pied de la FeBISP, elle prend la direction du CIRÉ - Coordination et Initiatives pour et avec les Réfugiés et Étrangers ASBL- en 2003. Le CIRÉ est une structure de coordination pluraliste que se donnent depuis 1954 des associations membres pour réfléchir et agir de façon concertée sur des questions liées à la problématique des demandeurs d'asile, des réfugiés et des étrangers avec ou sans titre de séjour.

Delphine Huybrecht

PEUX-TU NOUS PRESENTER EN QUELQUES MOTS LE CIRE ? QUELS SONT VOS GROS ENJEUX DU MOMENT ?

Le CIRÉ est une coupole politique francophone sur les questions d'asile et d'immigration. Le coeur de notre action, c'est de mener un travail d'analyse pour alimenter la réflexion des politiques sur un certain nombre de questions... On travaille sur 6 champs au sein de groupes de travail : migrations, régularisations, intégration des primo-arrivants, enfermement et expulsion, retour volontaire... Dans nos membres, on a toutes les associations qui s'intéressent aux problèmes des migrants, plus deux syndicats qui sont la FGTB et la CSC ; les syndicats sont membres depuis le début (en 1954 !). Les groupes de travail alimentent la réflexion au niveau politique. Par ailleurs, notre équipe d'une septantaine de personnes se répartit en 6 services. Un service d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile comptant 600 logements, qui est pour nous, soit dit en passant, un véritable « observatoire » de la procédure d'asile ; un service d'interprétariat qui comporte 30 travailleurs compétents pour 50 langues ; une école de « français langue étrangère » qui forme de 300 à 400 demandeurs d'asile et sans papiers par an ; un service d'équivalence des diplômes ; un service de logement et un service qui aide les migrants qui le souhaitent à préparer leur retour dans leur pays d'origine.

 

AU PLAN POLITIQUE, AVEZ-VOUS L'IMPRESSION D'ETRE ECOUTES ?

On est écouté mais les matières sur lesquelles on travaille sont extrêmement « non consensuelles ». En fait, on travaille très étroitement avec certains cabinets, on leur fournit régulièrement des notes pour étayer leurs arguments lors des négociations, puis ils négocient et ils obtiennent en général seulement une partie de ce qu'ils voulaient... Il faut alors reprendre les arguments, continuer dans la confrontation positive : on dénonce, on revendique... Nous travaillons aussi très étroitement avec certains parlementaires.

QUELS SONT LES ENJEUX QUI VOUS MOBILISENT PARTICULIEREMENT EN CE MOMENT ?

Il y a les questions que nous travaillons spontanément et celles qui nous sont amenées par le politique. Un thème qui nous tient à coeur c'est « migration et développement » : les deux aspects, développement économique et migrations, sont liés : c'est parce que certains pays sont à la dérive que leurs citoyens migrent... et en migrant, ils renvoient des devises au pays qui aident au développement. Cela dit, si ces pays allaient mieux, certaines personnes migreraient quand même : on migre d'autant plus qu'on a les capacités (physiques, matérielles, intellectuelles) pour le faire. Un autre thème d'actualité : la régularisation des sans papiers... c'est pas gagné ! Les critères clairs pour les procédures sont en cours d'élaboration chez la Ministre, on va voir ce que ça donne... Autre thème : l'immigration pour le travail : c'est un sujet qui nous a été amené par le politique ... C'est une idée particulièrement délicate, dans laquelle on risque de se laisser embarquer sur des postulats erronés ! Notre équipe veut contribuer à mener une analyse fine de ce qui se cache derrière la rhétorique des fonctions critiques...  le gouvernement actuel dit : « Si on veut moins de travail clandestin, il faut mettre en place une politique d'immigration visant à attirer les travailleurs dont la Belgique a besoin et régulariser par le travail » ; pour nous c'est faux !  Travail clandestin et pénuries de main-d'oeuvre ne sont pas liés, ils résultent de mécanismes différents. Le travail clandestin est en partie constitutif de notre économie, il profite à une partie de notre économie et ce n'est pas la migration économique qui va agir sur cet aspect. Non, si on veut lutter contre le travail clandestin, il faut en premier lieu renforcer l'inspection sociale qui manque actuellement cruellement de moyens. En second lieu, il faut généraliser les mécanismes de responsabilité en cascade des donneurs d'ordre sur les sous-traitants. Actuellement, le donneur d'ordre peut se laver les mains de ce qui se passe chez son sous-traitant.

L'évaluation de la réforme de la procédure d'asile nous occupe aussi beaucoup. La procédure actuelle est plus courte mais elle pose certains problèmes. Autre sujet : le règlement de Dublin, qui veut que la demande d'un demandeur d'asile soit examinée dans le pays par où il est entré. En Belgique, les gens qui seraient, par exemple, arrivés par la Grèce, sont enfermés le temps que la Grèce donne son feu vert pour qu'on lui renvoie le demandeur d'asile... Cela multiplie les occasions d'enfermement, nous sommes contre... Autre enjeu : l'accueil, à Bruxelles, des primo-arrivants : nous avons interpellé la FeBISP à ce sujet récemment, et nous y reviendrons. Citons encore : la nécessité absolue de mettre fin à l'enfermement de 3 catégories de personnes : les enfants, les demandeurs d'asile et les personnes fragiles. L'enfermement est une mesure disproportionnée. En plus, il manque un cadre légal : on peut dans les faits enfermer sans limites... La limite est fixée à 5 mois, mais si la personne refuse l'expulsion, elle peut être à nouveau enfermée 5 mois. Autre préoccupation : les expulsions. C'est de la violence d'État légitimée ! Pour ceux qui résistent, la violence monte, avec les drames qu'on a connus encore récemment. Pour finir, le thème du retour volontaire nous occupe aussi : si on veut réellement aider les gens à retourner, il faut recréer, dans leur pays d'origine, des conditions favorables : il faut qu'ils trouvent un moyen de gagner leur vie, il faut qu'ils se recréent des réseaux sociaux. Mais pour cela, il faut consacrer des moyens conséquents.

FRED, LA DERNIERE FOIS QUE TU ES VENUE A UNE AG DE LA FEBISP, C'ETAIT POUR NOUS SENSIBILISER A LA NECESSITE D'ETABLIR DES PROCEDURES ET DES CRITERES DE REGULARISATION CLAIRS ET UNIFORMES POUR LES SANS PAPIERS. LES CHOSES ONT-ELLES CHANGE DEPUIS ?

Le gouvernement actuel amène entre autres l'idée de la régularisation par le travail. Nous pensons que ça ne concernera qu'une petite partie des sans papiers, seulement dans des secteurs économiques qui se portent bien. Ca ne résoudra donc pas le problème globalement. Il faudrait aussi se demander pourquoi beaucoup de Belges n'occupent pas les postes vacants dans ce genre de secteur : notre hypothèse est que, par exemple, si on prend les infirmières, c'est une profession soumise à une pression énorme. Dès qu'elles en ont l'occasion, la plupart quittent leur emploi pour en trouver un autre moins stressant. Mais faut-il pour cela ouvrir la porte à l'immigration, ou faut-il revaloriser la profession ? Si on prend les maisons de repos, certaines ont clairement un but lucratif, et elles embauchent des migrants clandestins parce qu'elles peuvent les payer moins. Les syndicats ont hélas peu de prises sur ce genre de problème alors qu'on a besoin qu'ils soient plus forts que jamais : qu'ils puissent organiser solidairement les travailleurs du nord et du sud pour qu'ils résistent solidairement à la montée de la logique du profit et de la concurrence effrénée qui broie de plus en plus les travailleurs du nord et assigne les travailleurs du sud à la pauvreté.

DERNIEREMENT, TU SOUHAITAIS EGALEMENT INTERPELLER L'ISP SUR LA NECESSITE, A BRUXELLES, DE METTRE EN PLACE UN CADRE STRUCTURE ET INTEGRE POUR L'ACCUEIL DES PRIMO-ARRIVANTS. OU EN EST-ON ?

Il n'y a pas de politique spécifique d'accueil des primo-arrivants à Bruxelles... Nous, francophones, sommes souvent critiques en ce qui concerne la politique flamande d'inburgering . Mais en réalité, il y a beaucoup de bonnes choses à tirer de leur expérience... Nous savons que la grande majorité des primo-arrivants seraient demandeurs que l'équivalent de ce parcours existe à Bruxelles.

QUELLE SERAIT UNE BONNE STRATEGIE POUR AMELIORER LA SITUATION EN TERMES D'ACCUEIL DES PRIMO-ARRIVANTS ?

Il faut à tout prix organiser les choses au niveau régional : la Région doit établir des normes, des cahiers de charges pour homogénéiser les pratiques des points d'accueil qui, eux, devraient se situer au niveau des communes. Il faut en premier lieu que les personnes se sentent accueillies, et surtout, dans leur langue. Il faut qu'elles aient des interprètes à leur disposition pour leurs démarches. Après cette phase d'accueil, il faut leur proposer des cours de langue française et aussi des modules qui leur expliquent le fonctionnement de la société belge et qui éclairent de façon critique les codes culturels, valeurs et normes en vigueur ici comme dans leur pays d'origine, pour qu'elles puissent s'y retrouver. Le CIRE élabore en ce moment même une proposition de contenu pour ces cours d'initiation sociétale. L'ISP prendrait ensuite le relais pour les questions d'insertion socioprofessionnelle. Ce serait pour nous un partenaire de choix de cette politique d'accueil... L'ISP est elle aussi confrontée, depuis une dizaine d'années, à la diversification extrême de l'origine des migrants : aux Sub-sahariens sont venus s'ajouter les Kosovars, les Roumains, les Equatoriens,... Il est temps de proposer un accueil structuré aux primo-arrivants.

Merci Fred, et à très bientôt certainement.

NOTE DE BAS DE PAGE

  L'accord de majorité du gouvernement Leterme Ier prévoit que les étrangers en situation illégale disposant d'une offre de travail ferme pourraient être régularisés et que la Belgique va mettre en place un créneau de migration pour le travail. Ce faisant, le gouvernement fédéral ouvre la voie "à court terme" vers une certaine immigration économique "en tenant compte des réserves actuelles du marché du travail et de l'effet de la suppression imminente des restrictions à la libre circulation des travailleurs des nouveaux états membres de l'Union Européenne."
  Il s'agit d'un parcours d'intégration civique obligatoire organisé par la Flandre pour les nouveaux arrivants. Ce parcours se compose d'une série de formations assorties d'un accompagnement individualisé du nouvel arrivant. Le programme de formation est composé de cours de néerlandais, de cours d'orientation sociale et d'orientation de carrière. Plus d'infos sur
http://www.binnenland.vlaanderen.be/inburgering/integrationcivique.htm#inburgeringstraject