SOMMAIRE DE L'INSERTION 117

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L’insoutenable légèreté de la démocratie  

Cette année, lors des élections communales du mois d’octobre, j’ai été nommée assesseur. Je vous épargne la joie et la fierté ! Sans rigoler ! Je suis Belge depuis une quinzaine d’années seulement et cette reconnaissance de la part de l’état a été... oh la la ! J’étais dans un état (sans jeux de mot) ! Bref, le dimanche, je me suis donc rendue dans mon bureau de vote et j’y suis restée toute la journée. Cette expérience a profondément impacté ma vision de la démocratie. Je vous raconte rapidement l’un ou l’autre de mes échanges pour vous mettre dans l’ambiance.

- Bonjour, j’ai besoin d’assistance pour voter.
- Ok.
Et nous rentrons dans l’isoloir.
- Je souhaite voter pour ces personnes.
Le monsieur me tend un prospectus avec des noms soulignés. Il était visiblement très organisé. Tandis qu’il m’explique les raisons pour lesquelles il souhaite voter pour ces candidats, je trouve le parti en question. Pourtant, je ne trouve aucune trace des candidats qu’il a choisis. Je cherche, je cherche et puis je vérifie le prospectus :
- Mais ces personnes se présentent à Bruxelles-Ville !
- Et alors ?
- Et bien vous êtes à Schaerbeek.
- Et alors ?
- Et bien vous ne pouvez pas voter pour des candidats de Bruxelles-Ville.
- Et que dois-je faire pour pouvoir voter pour eux ?
Petite pose d’étonnement.
- Déménager à Bruxelles-Ville.
- Ah … Et en attendant ?
- J’ai un projet fou : vous pouvez voter pour des candidats qui se présentent à Schaerbeek !
Petit moment d’hésitation.
- Bon d’accord !
Chouette ! La démocratie a encore gagné !


- Bonjour j’ai besoin d’assistance.
- Ok.
Et nous rentrons dans l’isoloir.
- Bon alors, je vote pour qui ?
- Je ne sais pas, c’est vous qui me dites.
- Mais moi je ne sais pas.
- Ben moi non plus.
- Pour qui vous avez voté vous ?
- Je ne peux pas vous le dire.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne peux pas vous influencer.
- Mais… si c’est moi qui vous le demande !
- Ben non, même si vous me le demandez. Vous savez lire il me semble. Je n’ai rien à faire ici, je vais vous laissez voter seule.
- Non, restez avec moi. Ne me laissez pas seule, je ne sais pas quoi faire !
J’ai hésité, puis j’ai répondu :
- Bon d’accord, mais alors je me retourne et je ne regarde pas pour qui vous votez.
- D’accord.
Je me retourne et au bout de quelques instants, j’entends :
- Pour qui je vote ?
- Je ne vous dirai pas pour qui voter !
- Bon d’accord, dit-elle d’un ton résigné. Mais vous restez avec moi !
- Oui, je reste avec vous.

La dame a fini par voter sans un mot de ma part. La démocratie a encore gagné !

Ce n’est pas tout d’écouter les représentants de partis, de comprendre les programmes, de réfléchir pour quoi et qui voter. La démocratie ne se limite pas à ces gestes-là. Il y a des gens qui tremblent en rentrant dans un bureau de vote. Et il y en a beaucoup. Des personnes qui se demandent si elles ont le droit d’être là, si c’est bien leur place, si c’est bien raisonnable de leur demander leur avis sur les personnes qui vont les gouverner. Elles semblent si légères. Comme si un simple souffle pouvait les éloigner rapidement et définitivement. Qu’est-ce qui les ferait rester ? Qu’est-ce qui les ferait revenir ? Ce n’est pas tellement de la « technique », c’est plus nuancé. C’est avant tout un peu d’humanité, c’est leur consacrer un peu de temps. Le temps qu’elles parviennent à dompter la situation. 

Ces gestes sont essentiels à la consolidation de la démocratie.

Tatiana Vanessa Vial Grösser
Directrice adjointe de la FeBISP