LE PARCOURS DE VIE DE PATRICK DEZILLE

L'éducation permanente, Patrick Dezille est né dedans. D'entrée de jeu, ce sont ses premières paroles pour parler de son parcours. Dans sa famille, fortement impliquée dans les mouvements de jeunesse, tout le monde est scout (parents et enfants) et pour toujours... À 15 ans, il est déjà responsable à Etterbeek d'une meute (un groupe de louveteaux âgés de 8 à 12 ans). D'évidence, il s'oriente vers le métier d'instituteur.

Déjà à l'Ecole normale, Patrick est interpellé sur la manière dont la motivation interfère ensuite sur la manière de pratiquer le métier et l'importance d'une « bonne » orientation dans le choix des études. Patrick sort de l'école normale avec l'envie de changer l'école de l'intérieur (mais il ne correspond pas vraiment aux codes vestimentaires de Bruxelles Ville). Il déchantera vite. La position de l'instituteur (tout puissant) l'indispose. Il se voit plutôt dans une profession qui allie les rôles de l'instituteur à ceux de l'éducateur et de l'animateur.

Il choisit d'habiter à Liège, mais là aussi les procédures en place sont cadenassées. Elles ne facilitent pas son engagement comme instituteur. Les pouvoirs organisateurs fonctionnent à partir de listes de préférence où il n'a pas sa chance. Finalement, engagé comme « Stagiaire Education Nationale » (= chômeur mis au travail) pour la ville de Liège, il a un statut à 4/5 temps, payé à 90%... du 4/5 temps (soit 72% du barème) ! Sa soeur qui a pourtant le même statut pendant la même période, mais à Bruxelles, bénéficiera, après le 30 juin, d'autres calculs du chômage, nettement plus avantageux... alors qu'elle vit encore chez leurs parents ! Il réalise alors le caractère absurde et implacable des administrations et comment l'injustice peut exister dans l'indemnisation des personnes au chômage.

Il effectue ensuite son service civil, durant 15 mois, comme éducateur dans une école d'enseignement spécial (pédagogie Freinet). Il accompagne 7 classes dirigées par des enseignants très différents, plus ou moins directifs ou laxistes. Il crée, avec un collègue objecteur/instituteur, une méthode d'apprentissage à la lecture pour ces enfants très peu familiarisés à l'écrit.

Entré dans une troupe de théâtre amateur en 1986, il reprend des rôles dans des spectacles pour jeune public, et pour adultes, dont « À la queue comme tout le monde », une pièce qui, tiens, tiens, parle du chômage, du pointage, du découragement forcé... À l'époque, il vit le chômage de l'intérieur, comptabilisant déjà plus de temps d'inactivité que de travail. Conscient de l'impasse de l'enseignement, il bifurque donc vers l'animation théâtrale pour enfants au Service d'Education et d'Animation par la Coopération, asbl d'Education Permanente, et monte, bénévolement, des spectacles à « La Courte Echelle », salle de spectacle mise à disposition de groupes ayant un projet culturel. Finalement, engagé comme permanent par l'association, sous statut FBI (Fonds Budgétaire Interdépartemental pour l'Emploi), Patrick travaille en collaboration avec les écoles. Le but est de sensibiliser le monde scolaire aux aspects formatifs de l'animation théâtrale.

En 1988, il participe à un projet de coopération directe avec le Cameroun, de mouvement scouts à mouvement scout. Le projet : construire un centre de formation en pleine brousse pour contrer l'exode rural. Un ancrage local sera concrétisé par l'aménagement d'un point d'eau pour les villageois. Il y est confronté à son propre cadre de valeur et comprend l'importance de replacer les valeurs de l'individu dans leur contexte et de poser des actes collectifs pour changer la société.

En 1990, Patrick bifurque totalement. Au départ d'un intérim, il est engagé par une entreprise commerciale de publicité, orientée vers la production et la rentabilité. Il doit acheter des espaces publicitaires dans les journaux, puis à la télévision pour Coca-Cola, la Loterie Nationale, en passant par Chaudfontaine et Opel... Les budgets sont parfois écoeurants. Les ficelles du métier l'obligent à mettre ses valeurs en sourdine. Les avantages financiers finissent par être mis en balance avec la difficulté de concilier vie professionnelle et familiale. La tension devient trop forte entre lui et le secteur professionnel. Une déconvenue financière, en 1994, le laissera sur le carreau, pratiquement du jour au lendemain.

De 1990 à 1998, il garde néanmoins des liens avec le secteur de l'Education permanente. Il est membre du Conseil consultatif du Théâtre pour l'Enfance et la Jeunesse de la Communauté française, et administrateur de la Fédération des ludothèques.

Son retour au chômage, en 1994, lui permet de faire le point, de réfléchir en termes de qualité de vie : gagner moins mais vivre mieux. Mais il vit les affres et désagréments du chômeur où aberrations, vexations, attitudes incorrectes de l'administration font parties de son lot quotidien. Dans un imbroglio administratif qui se terminera au Tribunal du Travail, il prend conscience de l'importance d'outiller les gens pour comprendre, se défendre, voir clair dans leur situation. Il est actif sur un plan politique et milite notamment contre la mise en place des ALE (Agences Locales pour l'Emploi) rebaptisées par les militants de l'époque « Agence de Location d'Esclaves » (les fameux Sabine et Gaston de Miet Smet).

En 1995-97, Patrick cumule des temps partiels, à Bruxelles et à Charleroi. Engagé par l'asbl « Mon métier j'y pense », il réalise, pour le compte de la Communauté française, « Professionnal Poursuite », un outil pédagogique ludique destiné aux jeunes de 11 à 14 ans. Ce jeu ambitionnait d'améliorer l'orientation scolaire et de l'ancrer sur les capacités et la motivation des jeunes plutôt que sur l'exigence des parents ou la présence des copains.

De 1997 à 2000, Patrick travaille dans le mouvement laïque à Charleroi, où il coordonne le développement de projets avec les jeunes. En 1999, la Maison de la laïcité est occupée pendant 4 mois par des sans-papiers qui finissent par y mener une grève de la faim pendant 40 jours. Patrick est choqué par le dénuement et l'insécurité dans lesquels les pouvoirs publics peuvent laisser vivre des personnes. Le Centre d'Action laïque coordonnera, sur Charleroi, la campagne de régularisation en janvier 2000.

À cette époque, il entame une licence en assistance morale laïque à l'Université Libre de Bruxelles, en horaires décalés. Formant de futurs conseillers laïques, cette licence promeut de considérer les personnes dans leur globalité. Elle est centrée tant sur les personnes que les institutions. Le programme brasse de multiples facettes (protection de la jeunesse, socio, psycho, crimino, droit des étrangers, gérontologie, philosophie militaire, histoire des religions... ). « Tu ne peux te situer que si tu comprends ce qui est autour de toi », dit-il.

Il diffuse aussi un spectacle de théâtre forum pour les classes terminales de l'enseignement secondaire (15 à 18 ans) : « Un jour, il faudra que je leur dise » qui incite à la réflexion sur la migration et l'intégration de l'étranger dans notre société. Il réalise le document pédagogique qui accompagne le spectacle et anime le débat qui clôture la séance.

C'est en 2001 que Patrick entre véritablement dans le dispositif ISP. Jusqu'alors, il ignore même l'existence des Missions Locales. Il travaille quelques mois à

où il donne des cours de français dans une préformation aux métiers du bâtiment. Il comprend que, dans l'insertion socioprofessionnelle, il peut trouver cette place « entre l'enseignant, l'éducateur et l'animateur ».

C'est alors qu'il retrouve Jean-Philippe Martin (ancien camarade de classe en secondaire, par ailleurs directeur de

) à l'occasion d'un colloque sur l'ISP. Ce dernier ne tarde pas à le contacter pour lui proposer un poste de formateur dans le cadre du projet

, sensibilisation à la vie active, qui fait le lien entre l'école et l'insertion professionnelle, initié par la Mission Locale de Forest. De l'insertion socioprofessionnelle préventive qui lui permet à nouveau de travailler en marge de l'école.

Rapidement, il combine deux mi-temps : l'un comme formateur JEEP, l'autre comme agent de développement à la Mission Locale de Forest (prospection dans le milieu hospitalier). Il enchaîne ensuite avec les mêmes fonctions à la Mission Locale de St-Gilles jusque fin 2003 (prospection dans le secteur des piscines). C'est alors que Jean-Philippe lui propose de participer à mi-temps au Service Bruxellois aux Employeurs (SBE) à l'ORBEm (aujourd'hui Actiris). Chaque Mission Locale y affecte un mi-temps pour participer à la prospection des employeurs, dans le cadre d'un projet du Fonds Social Européen. De janvier à septembre 2004, Patrick vit donc l'ORBEm « de l'intérieur ». L'objectif était de rencontrer les employeurs et de traduire leurs besoins en formation. La méthodologie développée par l'ORBEm ne permet que peu de remonter efficacement l'information.

La fonction de coordinateur ISP à la Mission Locale étant vacante, Patrick y postule et est engagé en octobre 2004. Dans le dispositif ISP, il se sent en parfait accord avec ses propres valeurs car écoute, entraide, coopération et solidarité font parties intégrantes de ses actions.À l'époque, les comités subrégionaux pour l'emploi wallons avaient chacun un budget, minime, pour développer des actions pédagogiques. Ils décidèrent de grouper ces moyens financiers pour financer une asbl spécifique, selon le principe « faire plus et mieux en mutualisant nos maigres moyens ».