RENCONTRE AVEC PIERRE DEVLEESHOUWER, NOUVEAU DIRECTEUR DE LA FEBISP

Interview réalisée par Jonathan Lesceux

Comme vous le savez probablement, Pierre Devleeshouwer est le nouveau directeur de la FeBISP. Loin d'être un inconnu pour nombre d'entre vous, il représentait depuis des années son association (FIJ) aux assemblées générales de la FeBISP dont il a été par ailleurs administrateur pendant 6 ans. A l'occasion de ce numéro de L'insertion, il répond à quelques questions afin de faire plus ample connaissance.

Quel est votre parcours professionnel ?

Après avoir fait des études d'assistant social, j'ai commencé par travailler pendant deux ans dans un centre de guidance dont une section s'occupait des jeunes d'un quartier défavorisé à Ixelles. Ce premier emploi m'a permis de prendre conscience de l'ampleur de la problématique des difficultés et de l'échec scolaires des jeunes en milieu populaire. Par la suite, après un petit intermède d'un an dans une crèche, j'ai travaillé dans une association d'action en milieu ouvert à Anderlecht dans le quartier de la Roue. C'était à la fois un travail de soutien individuel de jeunes en difficultés et d'actions collectives liées, encore une fois, à la problématique de l'échec scolaire d'enfants en milieu populaire. A cette époque, j'ai été un membre actif de la création et de la coordination des écoles de devoirs de Bruxelles. Ensuite, en 1990, j'ai été engagé par Formation Insertion Jeunes (FIJ), association pionnière dans la mise en place de formations pour les jeunes sortis de l'école sans qualification. J'ai pu continuer à travailler sur les discriminations sociales et scolaires que les jeunes des milieux populaires rencontrent. J'y ai d'abord exercé la fonction de coordinateur pédagogique pendant 10 ans et ensuite celle de directeur de l'association, début 2001, quand Suzanne Beer qui en était la directrice, a rejoint la FeBISP.

Au vu de votre parcours fortement marqué par la problématique de l'insertion des jeunes, pourquoi pensez-vous que le nombre de jeunes dans le dispositif ISP diminue ?

Je pense que c'est une problématique complexe. En effet, le nombre de jeunes de moins de 25 ans dans le dispositif ISP tend à diminuer alors qu'au départ le dispositif ISP a été créé en grande partie par des associations qui visaient un public jeune. Si je prends l'exemple de FIJ, fin des années 80, début des années 90, le public était constitué à 90% de jeunes alors qu'actuellement ce pourcentage s'élève seulement à 30%. Pourtant, le nombre de jeunes de moins de 25 ans sans qualification inscrits chez Actiris est extrêmement important mais ce public n'est pas représenté dans la même proportion dans les OISP. Il s'agit donc d'une vraie problématique qui nécessite une analyse assez précise qu'on ne fera pas dans le cadre de cette interview. Pour moi, il faut aller beaucoup plus loin qu'organiser une journée d'étude et j'aimerais personnellement que la FeBISP fasse de cette question un de ses axes de travail dans les années qui viennent.

Qu'est-ce qui vous a poussé à suivre, d'une certaine manière, le chemin de Suzanne Beer, et avoir à votre tour rejoint la direction de la FeBISP ?

Je ne sais pas si j'ai tout à fait suivi le chemin de Suzanne Beer mais je dirais qu'il y a quand même une certaine filiation et des suites logiques dans nos parcours professionnels. A FIJ, on a toujours voulu, au-delà du travail quotidien avec les publics que nous accueillons, participer, susciter, créer et soutenir des projets collectifs ayant une porté plus large que l'action locale. FIJ était avec d'autres, une des associations qui a fondé la FeBISP et qui y a investi du temps pour son développement et son positionnement. Dans ce contexte, postuler à la direction de la FeBISP devenait quelque chose de presque naturel dans mon cheminement.

Quel sens donnez-vous à l'action collective au sein de la FeBISP ?

Je crois qu'elle doit se situer principalement sur deux axes : un axe de défense de ses membres mais aussi un axe de réflexion qui porte une série d'idées. En effet, il est important de pouvoir prendre ensemble des positions afin d'apporter des réponses ou faire des propositions communes aux différents niveaux de pouvoirs et aux différentes administrations avec lesquelles le secteur est en relation. La FeBISP possède une grande légitimité. D'une part, parce qu'elle regroupe un grand nombre d'opérateurs ISP (47 des 50 OISP agréés) et parce qu'elle est la plus grande fédération d'économie sociale bruxelloise en nombre de membres (près de la moitiée des ILDE et EI bruxelloises francophones). D'autre part, parce que la participation importante aux assemblées générales (7 par an) montre que l'action de la fédération est soutenue par ses membres.

Quelles sont les grandes questions qui se poseront pour la FeBISP et le secteur de l'insertion dans les prochaines années ?

En termes de questionnement de fond, comme évoqué précédemment, la problématique des jeunes est effectivement très importante. Ensuite, il y a le paradoxe de la Région bruxelloise qui produit beaucoup de richesse et d'emplois mais qui nécessitent un niveau de qualification élevé, voir très élevé, alors qu'une part significative des Bruxellois au chômage sont peu ou très peu qualifiés. La réponse simple qu'on entend souvent chez les politiques, c'est qu'il faut favoriser la formation pour leur permettre d'accéder aux emplois disponibles.
C'est une équation partiellement vraie. Quand on connaît le terrain, on sait que l'écart entre ces emplois qualifiés et le niveau de formation des demandeurs d'emploi est souvent très important . Je caricature un peu mais quelqu'un qui sort d'une 4ème professionnelle ratée ne pourra jamais, avec les contraintes du dispositif actuel, accéder à un emploi où il faut être trilingue et avoir une maîtrise d'outils informatiques avancés.

Par rapport à cette problématique, il faudrait peut-être permettre aux OISP de pouvoir développer dans certains cas des formations plus longues. Il faudrait aussi créer plus d'emplois accessibles à des gens peu qualifiés ou ayant acquis des compétences dans le dispositif ISP. A ce niveau, le secteur de l'économie sociale a déjà créé un nombre important d'emplois et il faut poursuivre dans cette direction. Par ailleurs, il faudrait voir avec les partenaires sociaux et les entreprises comment développer des emplois de qualifications intermédiaires.

Est-ce que cela veut dire que le niveau de qualification que les OISP peuvent faire atteindre aux stagiaires est insuffisant ?

Non, je crois qu'il est suffisant pour permettre à notre public cible de trouver des emplois qui ne nécessitent pas un niveau de qualification extrêmement élevé mais malheureusement ceux-ci sont trop peu nombreux en Région bruxelloise. Et je tiens à souligner que le OISP font un travail significatif et remarquable qui donne des résultats probants en termes d'accès à l'emploi. De plus, ce travail se fait dans des conditions très difficiles avec des personnes qui se trouvent dans des situations socioéconomiques et personnelles également très difficiles. Tout cela donne des résultats et il s'agit là de sacrés défis que le secteur relève tous les jours.
Mais on reste dans une situation où le nombre global d'emplois reste insuffisant par rapport à la population bruxelloise en demande d'emploi. Avec les personnes en formation on arrive à des progressions très importantes et à des niveaux de qualification très intéressants, mais au regards des attentes de certaines entreprises, il y a parfois un monde de différence. L'économie sociale offre un début de réponse à cette problématique mais c'est surtout sur le marché de l'emploi classique que la plupart des stagiaires sont amenés à ensuite chercher du travail. A ce niveau, il existe encore une appréhension de la part des entreprises qui sont toujours un peu craintives vis à vis de personnes qui n'ont pas un diplôme « classique ».
Dans cette optique, la régulation de l'offre de formation, la généralisation de l'approche métiers/compétences soutenue par Bruxelles Formation et le développement du processus de validation des compétences pourraient être de réelles opportunités pour les publics que nous touchons, à condition que les OISP puissent garder les marges et les souplesses nécessaires pour continuer à garantir l'organisation de formations accessible et de qualité.

Comment voyez-vous l'évolution de la FeBISP au cours des prochaines années ?

Je m'inscris dans la continuité de ce qui a été fait. Je pense qu'après plus de 10 ans d'existence, la FeBISP est devenue un partenaire connu et reconnu auprès des différents gouvernements et administrations. On est parfois plus reconnu quand les administrations ont besoin de faire passer certaines mesures auprès des associations que quand il s'agit d'écouter nos revendications. Des choses ont déjà été faites à ce niveau, mais je pense qu'il faudra certainement travailler encore plus sur cet axe et, pour y arriver, il faudra être encore plus collectif et porter tous ensemble ce que nous voulons.