SUR LE VIF: THESEE: UN PROJET DE FIL(IèRE) CONDUCTEUR POUR DEPASSER LES FOSSES, LES MURS ET LES RECOUVREMENTS

C'était ce 10 mars 2008 à 9h00, à Damprémy près de Charleroi. Le temps était maussade avec en dernière minute, une grève des trains. Et pourtant, nous y étions nombreux, Bruxellois et Wallons, travailleurs de l'insertion socioprofessionnelle. Les partenaires du comité d'accompagnement du projet Thésée1 nous attendaient, power-point à l'écran pour nous présenter leur Vade-mecum et leur Guide méthodologique « Des Filières et des Passerelles », à destination des professionnels de la formation professionnelle. Autour de la table pour participer au débat : un représentant de FOREm Formation, de Bruxelles Formation, de l'Interfédération, du Consortium de Validation des compétences, de l'Enseignement de promotion sociale, de la FeBISP, de l'IFAPME et enfin, presque comme un électron libre, en bout de table, un représentant des CPAS wallons.

Ana Teixeira

La première partie de la matinée a permis de cerner les enjeux du projet Thésée par rapport au champ de la formation professionnelle. Du point de vue du comité, il présente à ce jour une grande hétérogénéité de l'offre. Constatant des problèmes d'articulation entre les formations, le comité en a déduit qu'il existait des freins dans les parcours de formation et d'insertion des personnes. «?Une diversité d'offres qui, quand elle est insuffisamment articulée, joue en fait en défaveur du public concerné2?». Pour les partenaires du projet Thésée : ces freins sont de trois types. Ils y voient des «?fossés?» lorsqu'un stagiaire ne trouve pas de formation pour poursuivre de manière linéaire son apprentissage (ex. une préformation ne trouve pas d'équivalent en formation qualifiante) ou quand les temps d'attente sont trop longs entre deux formations (et là, c'est un fait établi que les compétences des stagiaires ne sont plus mobilisables). Ils identifient des «?murs?» lorsqu'il n'y a pas d'ajustement des niveaux d'entrée et de sortie entre les formations et, enfin, ils s'opposent aux «?recouvrements?» qui surviennent lorsque l'apprenant est contraint de «?revoir?» avec un autre opérateur des matières déjà acquises.

LE PROJET THESEE

Le projet Thésée a donc l'ambition d'apporter sa contribution à la construction d'un système de filières et de passerelles qui

  • repose sur une norme commune de référentiels de compétences et de référentiels d'évaluation,
  • s'appuie sur une démarche référentielle, une modularisation des formations et une reconnaissance automatique des acquis,
  • vise une meilleure gestion des partenariats à partir de l'utilisation d'un langage commun et d'une connaissance réciproque des opérateurs,
  • évolue dans une indispensable zone de confiance où chacun se situe et se sent respecté dans un principe d'égalité.

Tel que précisé dans le Vade-mecum3 : «?La mise en ?uvre de passerelles inter-opérateurs devra s'appuyer sur des références métiers communes. Et pour que les partenaires puissent fonctionner, les opérateurs devront abandonner leurs propres références métiers au profit d'un commun dénominateur produit par l'organe de référence que sera la Commission Communautaire?des Professions et des Qualifications redéployée?»

Après un bref exposé sur les outils et les définitions utilisés dans ce cadre (disponibles sur le site Thésée : www.thesee.be), le comité a présenté son architecture de filières, conçue sur le modèle suivant : lors d'une sélection de candidats stagiaires à une formation chez l'opérateur B

  • ceux qui n'ont pas les prérequis sont réorientés vers l'opérateur A (2 modules de formation + 1 module citoyenneté)?; s'ils réussissent chez l'opérateur A, leur admission (automatique) est prévue chez l'opérateur B (2 modules de formation + 1 module vie sociale),
  • s'ils réussissent chez l'opérateur B, ils entrent automatiquement chez l'opérateur C qui organise 3 modules de formation,
  • s'ils réussissent, ils entrent automatiquement chez l'opérateur D (3 modules de formation),
  • les réussissant bien sûr, ils passent enfin chez l'opérateur E qui va organiser une épreuve intégrée pour valider l'ensemble des compétences recouvrant l'exercice du métier acquises par les stagiaires.

En «?entrée latérale?», les candidats présentent l'épreuve de fin de module ou d'action de formation précédent, au même titre que le groupe engagé dès le début dans la filière. Les partenaires décident ensemble de l'organisation d'entrées latérales, de modules ou de stages... Ils doivent définir en commun leurs objectifs en termes de mise à l'emploi, de fluidification des parcours et des résultats attendus chez chacun.

Les filières sont constituées d'unités de formation, à savoir de modules et de séquences dont les liens chronologiques et la durée sont définis au préalable dans le référentiel de formation. Selon le Comité d'accompagnement Thésée «?le découpage des formations en unités restreintes, porteuses d'objectifs de formation précis évalués séparément, permet la comparaison et la mise en correspondance des objectifs visés (les compétences) par chaque unité?». Elle permet des passerelles horizontales entre opérations de formation.

Réussir signifie pour les partenaires du projet Thésée : maîtriser les compétences-clés minimales, définies dans les programmes de formation, nécessaires pour

accéder au terme de la filière au seuil d'embauche défini par le Consortium4.La décision est exprimée en termes binaires : maîtrise ou non maîtrise d'une compétence. Dans une logique de filières, réussir est bien la condition sine qua none pour bénéficier d'une entrée vers le module suivant.

QUELQUES OBSTACLE A SURMONTER...

Le débat, en seconde partie de la matinée, a mis en lumière les obstacles existants pour la mise en ?uvre d'un tel système de filières et de passerelles... En arrière-plan, des intérêts parfois divergents dans la construction des filières par rapport à leurs missions propres ou leurs publics respectifs.

4 Bruxelles Formation choisit de partir des référentiels ...Formation qualifiante

Du côté des partenaires institutionnels : quatre5 opérateurs de formation professionnelle, l'Enseignement de promotion sociale, le FOREm Formation, Bruxelles Formation, l'IFAPME ainsi que le Consortium de Validation des Compétences, représenté par Alain Kock dirigeant la cellule exécutive, sont à la tribune.

D'entrée de jeu, Myriam Schauwers, attachée à la Cellule Promotion sociale, refuse de limiter le rôle de l'Enseignement de promotion sociale à celui d'un bras certificateur. Elle rappelle l'importance de l'article 8 du décret (décret de promotion sociale) qui permet déjà aux individus sans diplôme d'accéder à cet enseignement par le passage d'un test d'entrée. En guise de rappel : le Régime 1 de l'Enseignement de promotion sociale, créé en 1991, est conçu sur un système modulaire d'unités de compétences validées par une épreuve intégrée de validation des compétences. Toutefois, elle précise que l'Enseignement de promotion sociale va au-delà du c?ur métier et se doit de développer des compétences liées à sa mission d'émancipation citoyenne. De ce point de vue, il se démarque par rapport à une démarche référentielle exclusivement ciblée sur les métiers. Myriam Schauwers est en demande d'un lieu permanent de rencontre entre opérateurs.

Annick Marchesini, conseillère à l'IFAPME, souligne l'importance de répondre aux besoins individuels des personnes. Elle insiste sur un accompagnement adéquat des personnes fragilisées dans un tel système... «?Sans soutien, elles abandonnent... Elles ne passent pas d'un opérateur à l'autre comme ça?». Elle met en exergue la difficulté d'harmoniser les différentes contraintes organisationnelles et pédagogiques spécifiques à chaque opérateur. Elle confirme le besoin de complémentarité entre opérateurs, suivant le principe que «?chacun doit faire ce qu'il sait faire?».

Maryse Menu, directrice technique à FOREm Formation, met en exergue le travail effectué par le FOREm Formation sur la visibilité et la juste mesure des seuils d'entrée en formation. Jusqu'il y a peu, cet organisme délivrait des attestations de fréquentation, il entend à présent remettre des attestations mentionnant les compétences acquises par le public à l'issue de sa formation. L'instauration d'un partenariat fort demande un calibrage précis des contenus et des calendriers de formation. Monter des filières entre différents opérateurs prend du temps et cela doit être pris en compte...

André De Bie, directeur du service production de Bruxelles Formation, le confirme : nous avons dû limiter nos formations pour avancer dans cette démarche. Illustrant le système des filières et passerelles à partir de l'expérience pilote du projet Equal Valid (qui a réuni des OISP bruxellois et wallons, des AFT, des EFT, FOREm Formation et Bruxelles Formation), il conclut donc sur l'importance de réfléchir aux articulations entre les formations. Telle est la condition minimum pour donner la possibilité au public de s'inscrire dans un parcours fluide de formation.

DU COTE ASSOCIATIF...

Joël Gillaux, représentant l'Interfédération, insiste sur la création d'un système de filières qui vise un emploi durable et de qualité. La certification officielle des acquis de formation est secondaire. La démarche référentielle ne doit pas se traduire en un saucissonnage qui réduit les volumes d'activité de formation au détriment de la pédagogie. Des conventions de partenariat doivent s'établir dans un rapport de confiance et d'égalité. Pour ce faire, les opérateurs d'insertion socioprofessionnelle doivent participer à la construction des filières et se joindre à la concertation entre l'ensemble des opérateurs.

Pierre-Alain Gerbeaux, représentant les OISP bruxellois, projetant ce système de filières dans le dispositif ISP actuel, constate que le volume de l'offre de formation est loin d'être suffisant pour offrir la possibilité aux demandeurs d'emploi qui le souhaitent de construire individuellement et avec fluidité leur parcours de formation. La coordination et la construction des filières dans le dispositif ISP ne peut se faire que selon un principe d'entonnoir inversé, où le nombre de places vacantes est plus élevé en formation qualifiante qu'en préformation. La démarche référentielle ne doit pas réduire le nombre de personnes visées mais l'augmenter.

En guise de conclusion, fluidifier les parcours de formation est une nécessité, mais les rationaliser à outrance présente un risque pour une partie du public ISP pour lequel des «?révisions?» ou encore des «?recouvrements?» constituent souvent un atout plutôt qu'un frein alors que le volume de l'offre de formation laisse subsister des «?murs?».

NOTES DE BAS DE PAGE

Dont l'OISP bruxellois CF2M
Vade-mecum, page 8
Vade-mecum, page 17
Bruxelles Formation choisit de partir des référentiels ...Formation qualifiante
Ces opérateurs et le SFPME fondent par ailleurs le Consortium de Validation des compétences
Décret de promotion sociale
Projet Equal Valid